Faits religieux et entreprise
La liberté religieuse est reconnue aux salariés dans l’entreprise mais cette liberté d’expression religieuse doit toutefois respecter certaines limites qui peuvent être fonction du poste de travail, du contrat de travail ou d’impératif de santé et de sécurité.
En effet, bien qu’il soit impossible de poser une interdiction générale et absolue à la liberté religieuse, l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut apporter, via le règlement intérieur, des restrictions aux libertés individuelles et collectives au sein de l’entreprise pour des raisons de santé ou de sécurité ou si la nature des tâches à accomplir le justifie (art. L. 1121-1 CT).
Le règlement intérieur de l’entreprise peut notamment contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché (art. L. 1321-2-1 CT).
Cette note ne concerne que l’entreprise privée et ne traite pas du service public pour lequel le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses (Conseil d’Etat 3 mai 2000 Demoiselle Julie X. n° 217017).
Le ministère du Travail a publié un « Guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées » le 26 janvier 2017 qui a pour objectif de permettre aux employeurs comme aux salariés de connaître leurs droits et leurs devoirs en matière de fait religieux.
Le guide, élaboré sous forme de questions-réponses, rappelle en préambule les principes fondamentaux qui s’imposent dans l’entreprise sur ce sujet et donne des réponses à des situations concrètes rencontrées dans les entreprises.
TEXTES DE REFERENCE :
Guide du ministère du Travail sur le fait religieux dans les entreprises privées
Article L. 1121-1 du Code du travail
Guide de l’Observatoire de la laïcité sur la gestion du fait religieux dans l’entreprise privée
SOMMAIRE
I. Principe de la liberté religieuse en entreprise
A. Principes applicables
1. Principe de non-discrimination fondée sur la religion
2. Pas d’interdiction générale et absolue de la liberté religieuse dans le règlement intérieur
B. Limites à la liberté religieuse en entreprise
1. Respect de ses obligations contractuelles
2. Abus de la liberté d’expression
II. Exceptions à la liberté religieuse en entreprise
A. Bon fonctionnement de l’entreprise
B. Impératifs de santé ou de sécurité au travail
III. Application aux salariés intérimaires
I. Principe de la liberté religieuse en entreprise
A. Principes applicables
1. Principe de non-discrimination fondée sur la religion
Une personne ne peut être traitée de manière défavorable en raison de ses convictions religieuses vraies ou supposées.
Ainsi, aucune personne ne doit être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses convictions religieuses (art. L. 1132-1 CT).
Sont donc visées le recrutement, l’accès à un stage ou à une formation ainsi que tout le déroulement du contrat de travail.
De manière plus large, toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée à une religion déterminée constitue une discrimination pouvant être pénalement sanctionnée (art. 225-1 C. pén.)
Les sanctions peuvent aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (art. 225-2 C. pén.).
2. Pas d’interdiction générale et absolue de la liberté religieuse dans le règlement intérieur
Même si aucune disposition légale n’encadre l’exercice de la liberté religieuse en entreprise, le Code du travail précise toutefois que le règlement intérieur de l’entreprise ne peut pas contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (art. L. 1321-3 CT).
Le règlement intérieur ne peut pas non plus contenir des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leurs convictions religieuses (art. L. 1321-3 CT).
Ainsi, une clause du règlement intérieur visant à interdire de manière générale et absolue la liberté religieuse au travail est illicite (Délibération de la Halde n° 2010-82 du 1er mars 2010).
L’employeur qui souhaite inscrire dans son règlement intérieur une disposition encadrant ou restreignant la liberté religieuse selon la nature des postes et des fonctions exercées doit donc adopter la rédaction la plus précise possible afin d’éviter une interdiction générale et absolue de la liberté religieuse.
En revanche, le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché (art. L. 1321 2-1 CT).
Les restrictions à la manifestation des convictions des salariés dans le règlement intérieur doivent donc répondre à 2 conditions cumulatives :
– être justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise
– être proportionnées au but recherché.
B. Limites à la liberté religieuse en entreprise
1. Respect de ses obligations contractuelles
Le salarié bénéficie d’une liberté d’expression dans l’entreprise mais celle-ci ne doit pas entraver l’exécution de son contrat de travail.
Le salarié ne peut donc invoquer sa religion pour refuser tout ou partie de ses obligations contractuelles.
A défaut, il s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. L’employeur ne commet aucune faute en demandant au salarié d’exécuter la tâche pour laquelle il a été embauché dès lors que celle-ci n’est pas contraire à l’ordre public.
Ont ainsi été jugés justifiés les licenciements en raison :
– du refus par un salarié d’une nouvelle affectation sur du matériel de guerre sous prétexte que son appartenance aux témoins de Jéhovah s’y oppose (CPH Lunéville 13 janvier 1984) ;
– du refus par un salarié musulman de passer la visite médicale périodique en avançant qu’un changement dans son organisation la rendait incompatible avec ses convictions religieuses (Cass. soc. 29 mai 1986 n° 83-45.409) ;
– du refus par une cuisinière de goûter aux plats de viande non égorgée et de toucher les bouteilles de vin en se prévalant de ses convictions religieuses (CA Pau 18 mars 1998) ;
– du refus d’un salarié de confession musulmane, embauché comme boucher, de toucher la viande de porc (Cass. soc. 24 mars 1998 n° 95-44.738).
2. Abus de la liberté d’expression
La liberté d’expression, consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par les textes européens, s’applique dans l’entreprise. En revanche, l’exercice de la liberté d’expression religieuse dans l’entreprise doit respecter les libertés et croyances des autres salariés et ne pas entraver l’exécution du contrat de travail.
Les abus du droit d’expression dans l’entreprise, tels que le prosélytisme et les actes de pression ou d’agression à l’égard d’autres salariés, sont interdits dans l’entreprise et peuvent être sanctionnés comme tels par l’employeur.
II. Exceptions à la liberté religieuse en entreprise
L’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut apporter des restrictions aux libertés individuelles et collectives au sein de l’entreprise pour des raisons de santé ou de sécurité ou si la nature des tâches à accomplir le justifie (art. L. 1121-1 CT).
A. Bon fonctionnement de l’entreprise
L’exercice de la liberté religieuse par le salarié ne doit pas entraver l’organisation et le bon fonctionnement de l’entreprise.
Ainsi, l’employeur n’a pas l’obligation d’accorder des congés spéciaux à l’occasion des fêtes religieuses.
En revanche, le refus d’autorisation d’absence doit se fonder sur l’intérêt de l’entreprise et ne doit pas être discriminatoire.
Il en est ainsi :
– d’une demande d’autorisation d’absence pour une fête religieuse au dernier moment, perturbant ainsi l’organisation du service (Cass. soc. 16 décembre 1981 n° 79-41.300),
– de la nécessité avérée de la présence du salarié concerné à cette date (Délibération de la Halde n° 2007-301 du 14 novembre 2007).
B. Impératifs de santé ou de sécurité au travail
L’employeur peut restreindre le droit d’expression religieuse du salarié pour des raisons d’hygiène, de santé ou de sécurité au travail.
En effet, si l’expression de la liberté religieuse par le salarié entraîne un accroissement des risques d’accidents ou un manquement aux conditions d’hygiène requises, il est légitime de restreindre cette liberté (art. 9-2 de la Convention européenne des droits de l’homme).
Il peut s’agir notamment :
– d’un salarié employé sur une machine qui refuse de tailler ou de protéger sa barbe au motif que ses convictions religieuses lui interdisent de raser sa barbe,
– d’un salarié qui refuse de passer la visite médicale au motif que sa religion lui interdit de se dévêtir devant une personne de sexe opposé (Cass. Soc. 29 mai 1986 n° 83-45.409),
– d’une salariée occupant le poste de chimiste qui refuse de retirer son voile.
III. Application aux salariés intérimaires
Tous les principes énoncés plus haut s’appliquent aux salariés intérimaires en mission dans une entreprise utilisatrice.
Ils conservent leur liberté religieuse et pourront l’exercer dans la limite des éventuelles restrictions apportées par l’entreprise utilisatrice, dans son règlement intérieur par exemple, en fonction du poste qu’ils occupent.
Ainsi le port d’un vêtement ou d’un signe religieux, une demande de congé pour une fête religieuse ou un aménagement de poste ou d’horaires pour pratiquer une prière doivent être en conformité avec le Code du travail, les accords d’entreprise et la convention collective applicable, ainsi qu’avec le règlement intérieur de l’entreprise utilisatrice.
source : Note juridique Prism’emploi